Il se dit beaucoup de choses sur l’art et les différentes positions sont souvent contradictoires. Comment savoir quand les propositions sont valables et en fonction de quoi ? Pour qu’une proposition soit valable elle doit reposer sur des notions claires, vérifiables et logiques. Mais l’art n’est pas la science et il est plus difficile de le cerner. C’est pourquoi à travers l’histoire, la définition de l’art suivait les connaissances du monde du moment et la pensée religieuse ou idéologique dominante.
Aujourd’hui notre approche de l’art n’échappe pas à cette règle. Le monde intellectuel est dominé par la pensée postmoderne et c’est elle qui influence notre vision actuelle de l’art. Pour mieux comprendre ce rapport nous devons d’abord situer l’art sur des fondements fiables pour pouvoir comprendre comment l’art contemporain à pu se trouver aux antipodes de l’art et pourquoi la pensée postmoderne favorise un art qui se veut toujours art tout en se déclarant Anti-art.
Pour savoir quand y a-t-il art nous partirons d’abord des états constitutifs de l’homme : physique, intellectuel et émotionnel. Durant la vie de l’homme ces trois fonctions sont tour à tour sollicitées. L’art est le seul à solliciter simultanément les trois. L’œuvre d’art est une production matérielle. C’est un objet. Un objet manufacturé, fait par la main de l’homme dans une matière dans le cas de la sculpture ou travaillé en surface avec des matières dans le cas de la peinture ou du dessin. L’homme laisse l’empreinte de son énergie dans l’œuvre. On peut identifier la main de chaque artiste dans la matière.
D’autre part, il véhicule une pensée, reflète un sens et suscite ainsi une réflexion. L’œuvre d’art se nourrit de la culture dont elle surgit et parallèlement elle la consolide et la transmet. Par sa structure l’art provoque chez le spectateur des émotions de toutes sortes. Parmi ces
émotions l’œuvre d’art fait surgir aussi l’émotion esthétique.
Sur ces trois facettes indispensables d’une œuvre, il faut ajouter la notion du beau qui va relier les trois, car le beau est immuable. C’est ainsi que l’art englobe la stabilité (l’immuable du beau) et le dynamisme (la vitalité de l’homme). L’art sollicite la totalité de l’être. Également de l’artiste
et du spectateur. Il est l’unité et la multiplicité.
Pour pouvoir définir l’art il est nécessaire de définir le beau, car toute la difficulté à cerner une œuvre provient de la difficulté à cerner le beau. Le beau n’est pas dans la forme agréable de l’image mais dans la structure profonde selon laquelle s’articulent tous les éléments d’une composition.
Cette composition est logique et identique à la structure du monde que l’artiste et le spectateur à travers leur propre nature sont capables de percevoir.
On pourrait craindre que cette structure, toujours identique (comme par exemple la règle d’or) puisse mener à une production des œuvres stéréotypées comme ce qui se produisait dans les Académies au XVIIIe siècle.
Mais, il n’y a pas de crainte à avoir car l’artiste introduit dans chaque œuvre l’originalité, une particularité qui lui est caractéristique, qui va donner le caractère unique à chacune d’elles. Ainsi comme dans la nature où chaque être est unique une œuvre d’art est unique aussi. Cette unicité va conférer à l’œuvre d’art la vitalité. La vitalité est liée à la capacité créatrice de l’artiste. Dans une grande œuvre d’art on sent la vie. Il y a un lien entre le beau et la vitalité. Une sensation de puissance, de force se dégage de ces œuvres.
C’est cette combinaison de la structure parfaite et de la vitalité du vivant dans l’œuvre d’art qui va provoquer chez le spectateur l’émotion esthétique. Lors de cette émotion il se produit une conjonction entre la structure de l’œuvre, la structure du monde et notre propre être qui
correspond aussi à la structure générale du monde. C’est cette conjonction qui pendant un court instant provoque en nous une forte émotion qui nous relie ainsi au monde.
Dans Pourparlers, Gilles Deleuze parle de la vitalité de l’œuvre : « Il y a un lien profond entre les signes, l’événement, la vie, le vitalisme ! C’est la puissance de la vie non organique, celle qu’il peut y avoir dans une ligne de dessin, d’écriture ou de musique. Ce sont les organismes qui meurent,
pas la vie. Il n’y a pas d’œuvre qui n’indique une issue à la vie. » Cette approche de l’œuvre d’art est très loin de l’art contemporain. Celui-ci nie l’existence du beau et va jusqu’à la négation même de l’art. Tout en niant l’existence de l’art, l’esthétique postmoderne postule que tout produit quel qu’il soit, qu’on déclare être une œuvre d’art est une œuvre d’art du moment qu’un artiste le déclare ou qu’elle est située dans un lieu qui présente
de l’art. Et l’artiste est celui qui se déclare être artiste.
L’artiste est placé au premier plan. Ce qui compte surtout c’est son intention au moment d’une réalisation. Parfois il n’est même pas nécessaire de réaliser l’œuvre.
Comment on est arrivé à un tel démantèlement de l’art ?
Lorsqu’il se produit des changements d’une telle ampleur, les raisons commencent de très loin et sont nombreuses. On prendra en compte les moments les plus marquants et nous partirons de la conception du beau car tout le raisonnement se noue autour de lui.
Pour la Grèce hellénistique l’œuvre d’art est réalisée en fonction d’un idéal préétabli, ainsi le beau provient de cet objet – œuvre réalisée suivant les formes idéales. Alors on peut considérer que le spectateur perçoit le beau dans l’objet. Le beau rayonne de l’œuvre et il est donc objectif. Tout individu peut percevoir cette beauté. Cette position va dominer jusqu’à Hume (XVIIIe siècle).
Pour Hume cette émotion face à une œuvre d’art ne provient pas de l’objet mais du sujet qui observe l’œuvre. C’est le spectateur qui regarde. C’est lui qui perçoit l’œuvre d’une certaine manière. Hume va introduire ainsi la notion de subjectivité en relation au beau et à partir de là rendre difficile la définition de l’art.
Aujourd’hui encore prédomine l’idée que « le beau est dans l’œil du spectateur ». Le beau devient une question de goût.
Mais grâce à l’imagerie médicale nous savons aujourd’hui que la Grèce hellénistique et Hume avaient raison. La perception d’une œuvre se passe en deux temps. Un premier moment ou le spectateur, tout spectateur, voit le beau et s’ensuit un second moment, très rapidement où le
spectateur aime ou n’aime pas l’œuvre en fonction de son goût ou de son vécu. Donc, l’œuvre est objective et subjective simultanément.
Mais dans l’art contemporain la question de l’objectivité ou de subjectivité ne se pose plus. Le beau est écarté de l’art comme superflu.
Si nous analysons les œuvres d’art d’aujourd’hui nous nous trouverons en face d’une multitude d’expressions dans une sorte de cacophonie. Depuis les années 1950, donc en moins d’un siècle, on a dénombré 149 mouvements d’art. C’est justement cette multiplicité qui correspond à la postmodernité. C’est son caractère essentiel. C’est l’éclatement – atomisation. Éclatement de la société, éclatement de l’individu et donc l’éclatement de l’art. L’individu est fragmenté, dispersé, multifacétique. On est chrétien et bouddhiste au même temps, employé de banque et rappeur. Au moment où le sujet prend son autonomie il est perdu dans la multitude. Mais cette multitude n’est pas stable, elle est constamment dans l’ébullition. Elle flotte sans racine, comme les algues du bassin, la végétation la plus primitive. L’homme est coupé de ses racines, il a perdu son identité. Perdant
le sens de la vie, il perd la direction. C’est ainsi que dans l’art tout devient possible.
Les cultures se délient, se superposent. Toutes les images produites par l’homme, de toutes les époques sont placées sous la dénomination de l’art. Les images de différentes ethnies se mélangent.
Parallèlement, tout se disperse. Une dispersion dans l’agitation. Mais une agitation sur place, sans direction, sans but, sans futur. La postmodernité ne s’ouvre sur aucun chemin. Elle est renfermée sur elle-même. De même l’art contemporain, ne donne aucune issue vers d’autres formes. La multitude d’expressions finalement se ferme sur elle-même et toutes les œuvres d’art contemporain sont immédiatement reconnaissables comme telles. On aboutit à une sorte de nouvel académisme.
La postmodernité postule qu’il n’y a pas de vérité, qu’il y a des vérités. Ainsi, « à chacun sa vérité ». L’artiste est libre de s’exprimer comme il l’entend. Toutes les manières sont possibles. Tout peut devenir art. Même les dessins des ados sur les murs, les tags, deviennent Street art et entrent dans les musées.
Le XXe siècle a été fortement politisé et l’art a souvent servi de moyen de propagande et de contestation. Dans la postmodernité le fait politique se retire, les idéologies perdent de la force de conviction face à la globalisation et la marchandisation. L’argent prime sur tout. Au niveau de l’art nous assistons à la primauté du sujet et la pratique artistique se concentre sur des relations interhumaines. On cherche à faire participer le spectateur à l’élaboration de l’œuvre. C’est le cas des performances.
Le rapport au temps aussi se modifie. La transmission à des futures générations au travers de l’œuvre d’art n’intéresse plus. Ce qui compte c’est le présent, le maintenant. L’art s’en empare aussi et surgissent des œuvres éphémères. Des œuvres qui ne durent qu’une journée ou
quelques heures. Aussi à la place d’une œuvre pensée, élaborée, on va préférer le jeu spontané. La notion de qualité est mise en doute. Tout se vaut, c’est facile et ça fonctionne. On ne fait plus de distinction entre différentes formes d’expression artistique : sculpture, peinture, dessin, art
décoratif, art kitsch, broderie, crochets ou bricolage tout simplement. Il faut ajouter à ceci les nouvelles technologies : L’art télématique, virtuel, cyberart et même les réseaux sociaux. Tout est art.
Comment expliquer cette situation ? Que c’est il passé ?
Pour comprendre il faut revenir vers la Modernité. Celle-ci se situe entre le début du XXe siècle et les années 1980 et on peut l’approcher à l’idéal développé par la philosophie des Lumières. L’opposition à la tradition, lutte contre l’arbitraire de l’autorité et contre les préjugés. Elle se
caractérise surtout par la place prépondérante qu’elle donne à la Raison. Elle se projette dans le futur avec l’optimisme. Se voulant universelle elle est surtout Européenne.
Mais voila que deux terribles guerres ont fait des ravages. Des millions de morts et la destruction. L’optimisme va céder la place à la désillusion. On ne croit plus à l’avenir, aux développements, au progrès. La postmodernité va apparaître comme un rejet de la modernité. L’espoir et les valeurs disparaissent. On se replie sur soi. On ne cherche que son bien-être, ici et maintenant. On ne croit plus à la connaissance, à l’objectivité. On ne croit pas à la possibilité d’amélioration de l’homme par la Raison. Chacun est renvoyé à ses propres jugements. C’est dans cette brèche que l’art contemporain va s’engouffrer à la suite de Dada, Ready mads, Art Brut et le Surréalisme.
Peut-on accepter cet état de choses comme – « bof, c’est comme ça ! » Où ne vaut-il pas la peine d’essayer de repenser l’art dans ce qu’il a de particulier et qui le fait distinguer de tout autre objet. Pour le philosophe Jürgen Habermas, l’abandon de la Raison est une des pires
choses qui soit. Il souligne surtout le danger de supprimer la Raison du domaine de l’art. Il considère qui si on se débarrasse de la Raison en art on ne détruit pas seulement l’art mais l’Humanité même. Il souligne les pratiques douteuses, sans responsabilité, sans la réelle
conscience, qui agissent aveuglément suivant les modes ou leurs intérêts, mettant en danger toute la communauté. Car il ne faut pas être dupe. L’art contemporain est présenté comme garantissant la liberté de l’artiste. Faux. Tout en plaçant l’artiste au centre, l’art contemporain l’assujettit aux décisions des institutions, des penseurs de la postmodernité, et des marchands.
En conclusion la Résilience en Art ne peut qu’adhérer à la position d’Habermas et s’emploie à refonder les bases de l’art. En réalité les manifestations qui entrent dans le cadre de l’art contemporain répondent à la demande de la société de loisir des pays développés. C’est une forme de Manifestation Aléatoire de Divertissement.
Ksenia Milicevic
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Dessins de Ksenia Milicevic sur la résilience
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